Comment attirer les ostracodes

Les ostracodes ont toujours été partout dans les milieux aquatiques, et ceci bien avant que les dinosaures aient seulement eu l'idée d'envisager d'exister un jour.

Les géologues se servent même carrément des petits ostracodes fossilisés dans les couches rocheuses pour parvenir à les dater.

Sur terre, ce sont les collemboles qui règnent sur les litières en décomposition du monde entier avec leurs millions d'espèces, dont une infime minorité sont connues.

Dans l'eau, ce sont les ostracodes. C'est l'équivalent en plus moche et en aquatique.

Ces deux familles de bestioles sont le chaînon le plus important de tous les écosystèmes, puisqu'elles permettent la décomposition des matières organiques mortes. Y'a pas de sot métier...

On comprend mieux pourquoi un aquarium sans ostracodes fonctionne si mal. Et donc pourquoi la présence des poissons dans un aquarium (s'ils mangent les ostracodes) est... le principal problème :

J'en parlais déjà ici : https://aquariumnaturel.blogspot.com/2018/12/lennemi-de-laquarium-cest-le-poisson.html

Tous mes bassins, aquariums et poubellariums contiennent des ostracodes. Les deux espèces en vente sur Aquazolla, qui sont une espèce nageuse (plutôt charognarde) et une espèce marcheuse (plutôt végétarienne), mais aussi d'autres sur l'élevage desquelles je travaille toujours en m'arrachant les cheveux de derrière puisque j'en ai plus devant.

J'ai très longtemps fait face à un problème difficile. En effet, lorsque je voulais prélever des ostracodes (pour une expérience, un nouvel aquarium ou pour vendre sur Aquazolla), j'ignorais comment m'y prendre.

Les ostracodes vivent difficilement seuls. Il sont inscrits dans des écosystèmes aquatiques complexes et cohabitent avec des daphnies, du plancton, des cyclops, et une foule de micro-organismes qui les accompagnent. De plus, ils adorent se vautrer dans la moulme (le crapapouët au fond qui sent pas bon). C'est aussi en grande partie eux qui contribuent à former cette "croûte" qui couvre lentement la paroi de nos poubellariums et qu'on appelle le périphyton quand on veut faire son malin parce qu'il y a des gonzesses en soirée.


Vous savez que ma formation en agronomie fait de moi un passionné des recherches dans les disciplines innovantes comme la permaculture par exemple, et que ces recherches m'ont permis, outre de pécho en soirée, de comprendre pas mal de phénomènes aquatiques.

Eh bien, là, c'est une autre discipline agronomique qui m'a apporté une solution pour prélever des ostracodes dans mes milieux aquatiques sans devoir acheter un harpon à microbes à Decathlon.

Il existe une branche naissante de l'agronomie qu'on appelle "agriculture syntropique".
Si vous arrivez pas à draguer avec tous les mots que je vous donne, vous êtes carrément pas doués pour le métier, hein.

En agriculture syntropique, on crée des zones de végétation hyper-denses, à la fois en surface, mais aussi en hauteur.
Un peu comme une forêt, vous plantez dans votre potager des plantes de 3 ou 4 mètres de haut (maïs ou tournesols géants) qui créent un micro-climat et des micro-écosystèmes dont profitent d'autres cultures ainsi abritées.
Et ça, permettez-moi de vous dire qu'on s'en fout complètement.

Par contre, ce qui est intéressant, c'est que cette discipline théorise la notion de "rupture". Pour simplifier, une rupture est un accident, une mini-catastrophe comme une plante géante qui s'effondre. Dans une forêt, c'est un immense arbre qui tombe par exemple. Ce qui occasionne des dégâts et un changement brusque de l'environnement : la lumière entre, une clairière se forme, l'humidité s'échappe, le sol est éventré, etc.

L'agriculture syntropique explique que ces zones de ruptures sont incroyablement fécondes : elles favorisent l'apparition d'une biodiversité qui avait disparu. Car elles créent un nouveau chaos dans l'ordre ancien. Tant il est vrai que la biodiversité, dans la nature, n'est qu'un phénomène temporaire, une sorte de rebattage des cartes avant qu'un nouvel ordre stable (un équilibre) soit trouvé.
On a un peu la même démarche en permaculture quand on tente de multiplier ce qu'on appelle les "interfaces".

Mes recherches consistent souvent à essayer de traduire les principes de ces disciplines innovantes aux milieux aquatiques.
Mais, comme je suis, sur le plan de l'intelligence, le mari de ma femme, faut pas trop me demander, hein.

J'ai donc eu l'idée assez bête de créer des ruptures sur les parois des récipients, poubellariums ou aquariums, simplement en grattant la saleté avec mes ongles. Qu'il s'agisse de croûte ou d'algues, voire d'un simple film bactérien, une paroi aquatique n'est jamais propre. On alors, le milieu est mort. Ou alors vous avez fait de l'aquariophilie en écoutant le vendeur de l'animalerie, ce qui revient au même.

Et, très rapidement, j'ai constaté que les ostracodes, quelque soit leur espèce, se bousculent littéralement, en quelques minutes, autour de ces rayures. On assiste à des attroupements spontanés. Qu'il s'agisse d'espèces nageuses ou marcheuses, elles se fixent alors sur la paroi lésée. J'ignore si c'est pour manger ou se reproduire, je parle pas la langue, mais ça leur plaît !

Il suffit alors de les prélever par dizaines à ces endroits où ils se regroupent, pour les récupérer sans trop de daphnies mélangées et sans avoir à les choper un par un au lasso.

J'ai pris cette photo seulement 5 minutes après avoir gratté avec un ongle la vitre d'un de mes aquariums d'expériences. On voit que les ostracodes, qui étaient l'instant d'avant invisibles et disséminés dans l'aquarium, font un flash-mob de guedin.

Cette notion de "rupture", d'accident générateur de vie, est importante pour qui s'intéresse aux écosystèmes aquatiques. Essayez par exemple de retourner quelques centimètres carrés de votre substrat avec le doigt et observez. Il se passera quelque chose. Surtout si vous avez une microfaune riche !

Retirez une plante conséquente. Observez.

Moi je vous le dis : depuis que je fais plein d'aquariums sans poissons, je m'ennuie jamais !


Commentaires

Eden a dit…
En totale adéquation avec ma manière de penser l'aquariophillie. Merci pour cette subtile alliance entre l'humour et la science, j'adhère et en redemande
Anonyme a dit…
Intéressant et drôle, vous êtes au top Mattier !
Marinette a dit…
Amis de l'aquarium naturel, je propose de faire une cagnotte afin d'offrir à Maître Mattier une brosse à ongles pour Noël

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