L’ennemi de l’aquarium… c’est le poisson !
L’art aquariophile
consiste à aider l’aquarium à supporter les poissons !
Parce que, c’est
assez clair pour moi après toutes ces années d’observations
diverses, l’aquarium va bien jusqu’au jour où on y introduit des
poissons…
C’est évidemment
très surprenant de présenter les choses ainsi, mais c’est bien ce
que 35 années d’expérience, les mains dans l’eau toute la
journée, m’ont fait comprendre.
Pourtant, me
direz-vous jeunes padawans, dans la nature, il y a des poissons. Et
les milieux aquatiques se portent bien quand même !
Alors, comment
c’est-il que ça se fait, tout ça, me demanderez-vous, avec cette
naïveté insouciante de la jeunesse folle qui court nue dans les
champs de blé, les cheveux dans le vent.
Oui, c’est vrai,
il y a des poissons dans les points d’eau et les cours d’eau.
Mais combien ?
Les milieux naturels
sont équilibrés avec moins d’un poisson pour plusieurs mètres
cubes. Pour chaque poisson, on a donc plusieurs milliers de litres
d’eau. Toute personne qui a passé des heures au bord de l’eau
avec sa cane à pêche ou son épuisette et est revenu à la maison
en étant obligé de passer par la poissonnerie pour sauver son
honneur a pu le constater : les milieux aquatiques naturels, ça
grouille pas vraiment de poissons !
Il est très facile
de créer un petit monde aquatique équilibré.
On prend un aquarium
ou un bac en plastique de plus de 10 ou 20 litres si possible, et on le remplit
d’eau.
Si cette eau vient
du robinet, on attend une journée si on peut, puis on y ajoute des aselles, des daphnies, des ostracodes et des Blackworms (commandés bien sûr chez Aquazolla !). Si on peut
mettre quelques poignées de sable au fond, c’est encore mieux. On y jettera quelques escargots (physes, mélanoïdes ou planorbes).
Ensuite, on place
dans cet aquarium quelques brins de Najas (par exemple), plante qui a la
faculté de pousser facilement et d’occuper au mieux tout l’espace
disponible (et donc toute la lumière). On y ajoute de la lentille trilobée, qui offre un refuge dense en surface et produit des
« infusoires », éléments clés de la chaîne écologique
qui va s’installer. Les infusoires mangent les bactéries, et sont à leur tour mangés par les daphnies et les ostracodes !
On place
l’ensemble près d’une fenêtre ou dans une pièce claire, et on
attend.
On attend des années
si on veut, parce qu’un tel écosystème peut durer des années
sans jamais mourir. Chaque mois, voire chaque semaine, il s’y
passera quelque chose ; les ostracodes bruns domineront, puis
les jaunes, puis les daphnies exploseront, sans qu’on sache trop
pourquoi…
Les plantes se
nourriront des déchets des animaux : le dioxyde de carbone et les
composés azotés.
Et inversement, les
animaux se nourriront des déchets des plantes : oxygène et
tissus végétaux morts.
Entre les deux, et
dans les deux sens, les bactéries feront le lien, en dégradant tous
les déchets pour les rendre utilisables.
Ces bactéries
viennent essentiellement de vos bestioles qui les ont apportées avec
leurs crottes, mais aussi des plantes qui en sont également
couvertes. D'autres arriveront par la poussière, ou même seront déjà présentes dans l'eau du robinet...
De la vie, rien que
de la vie et surtout rien d’industriel : ni filtre, ni
chauffage, ni nourriture en paillettes, ni tubes néon high-tech, ni
souche « magique » de bactéries clonées achetées
inutilement chez le marchand !
On pourrait ainsi, dans chaque maison, classe d’école ou chambre d’enfant, avoir
dans quelques litres un condensé des cycles naturels, fascinant à
observer avec ou sans loupe, devant lequel on peut rester des heures
à méditer, contempler, admirer. On peut y voir les jeux de lumière, la vie des petits habitants, l’impermanence du monde, le cycle des générations, la circulation de la matière, la sérénité du fond…
Tant qu’il y a de
la lumière, seule source d’énergie de ce petit écosystème, il
peut durer indéfiniment.
Si vous y
introduisez de temps en temps une rondelle de carotte cuite, pour
observer le ballet des bestioles qui grouilleront autour,
attendez-vous juste à retirer un peu de plantes de temps en temps.
Vous aurez ajouté de la matière, il faudra donc la retirer plus
tard sous une autre forme !
Mais si, un jour,
vous y introduisez un poisson, tout change aussitôt.
Un poisson est un
micro-prédateur. Dans la nature, il dispose d’un espace de
plusieurs milliers de litres pour se nourrir. Il ne parvient donc pas
à décimer toutes les proies et elles sont donc juste « régulées »
par sa présence. Ses déchets sont facilement absorbés par les
plantes ou les algues. Tout va donc bien.
Mais, dans le cas
d’un aquarium, le poisson arrive dans un espace de quelques litres,
voire centaines de litres, ce qui est ridicule.
Et, souvent, on y
met même plusieurs poissons, puisqu’ils n’aiment généralement pas être
seuls !
En quelques jours, le
poisson aura probablement dévoré tout ce qui vit et qui est plus gros
qu’une bactérie. Il aura littéralement stérilisé l’écosystème.
Vous vous
retrouverez avec une chaîne interrompue. Plus de bestioles pour
faire le lien entre les bactéries et le poisson. Seuls les escargots auront survécu, et ils pulluleront donc. Et, comme le
poisson ne peut pas se nourrir directement des bactéries, vous
devrez ajouter de la nourriture, trop souvent industrielle.
La filtration, nous l’avons souvent dit, n’y change rien et ne sert absolument à rien. Elle
permet juste à l’azote des déchets de se transformer en nitrates,
c’est-à-dire exactement la même chose que ce qui se produit... sans
filtre ! Car les bactéries, de toutes façon, sont partout dans
le milieu, dans le filtre ou hors du filtre !
Alors, si on tient à
avoir un ou des poissons, comment faire ?
Essayons de répondre.
D’abord, bien
comprendre ce qui précède, c’est-à-dire qu’on va devoir
intervenir pour équilibrer un milieu déséquilibré par le poisson.
La première chose
est de ne donner aucune nourriture industrielle. Aucune bestiole
n’étant là pour consommer les déchets morts, l’azote qu’ils
contiennent finira en nitrates, et c’est très très moyen…
Donner de la nourriture vivante permettra que ce qui n’est pas mangé reste en
vie. Donc, pas de déchets pourrissant au fond. Les bestioles non
consommées immédiatement pourront en plus remplir leur fonction en
attendant. Un poisson qui baigne au milieu des bestioles ne peut pas
tout manger, et l’aquarium n’est ainsi plus stérile pendant un
certain temps.
Seconde mesure :
prévoir des points impénétrables dans l’aquarium, pour servir de
refuge aux bestioles les plus malines, et éviter ainsi que le
poisson ne les découvre toutes immédiatement.
Troisième mesure :
augmenter le nombre de plantes et augmenter leur croissance en
augmentant la source lumineuse, en durée comme en intensité. Car
seules les plantes savent éliminer les nitrates que cet écosystème
« boosté » va désormais produire en excès. Régulièrement, on
retirera quelques poignées de ces plantes, qui ont stocké l’azote
en excès de l’écosystème. La Najas, les Pistias avec leurs
immenses racines, la lentille trilobée et l’Azolla en surface sont
selon moi les meilleures dans ce rôle. Elles épurent, oxygènent,
remplissent l’espace… Et la lumière que n’exploitera pas l’une
d’elles sera captée par une autre. Robustes, elles pousseront au lieu de mourir ou vivoter comme tant de plantes d'aquarium...
En attendant que
l’équilibre se fasse à nouveau, vous aurez sans doute des algues
filamenteuses qui viendront vous envahir. Mais elles ne feront finalement que
remplir une fonction que le système n’est pas encore capable
d’assurer. Elles sont donc inévitables, car utiles tant qu’elles
sont là !
L’art de
l’aquariophile, c’est donc, on le voit, un travail
d’équilibriste.
Faire supporter à
un aquarium la présence de poissons, en y boostant la vie (et non la
technologie !) pour compenser le déséquilibre dû aux
poissons.
Reconnaître et comprendre que les
poissons sont un problème dans un aquarium est donc, paradoxalement,
la première étape de l’apprentissage de l'aquariophilie !
Commentaires
Perso. je tourne uniquement avec crevettes et cagouilles.
Comme dit le proverbe poubellariophile : "Si t'as pas predator, t'as aquarium en or".
La sagesse populaire, quoi...
Car finalement, une crevette, ce n'est rien d'autre qu'une aselle déguisée... en crevette !
Sinon, de la mousse est encore plus dense, mais ne pousse pas aussi vite, loin de là.
Enfin, la lentille trilobée fait de magnifique coussins épais en surface où de nombreuses bestioles parviennent à vivre cachées...
C'est même le cas idéal. Moins il y a de poissons, plus les bestioles peuvent survivre. Les éléments minéraux disponibles pour les plantes, qu'ils viennent des poissons ou des bestioles, sont équivalents... C'est un très bon compromis !
Reste à mettre suffisamment de bestioles pour saturer le Betta et le rendre un peu moins passionné par la chasse !
Bonne idée en tout cas de le gaver un peu pour faire diversion...