La biodiversité, c’est le bordel !

 J’ai plein de trucs à vous raconter, j’ai vécu une foule de choses en un an, des expériences les mains dans l’eau, des petites découvertes, des gros changements, et même des bouleversements…

Mais aujourd’hui, je voudrais revenir sur la question de la biodiversité dans nos aquariums, qui est un concept plus subtil qu’on pourrait le penser au premier abord.

Ce billet sera un peu long, mais il tente de résumer de longues années d’observation, d’expériences diverses et de cheminement aquariophile.
Et puis cela fait presque un an que je ne vous ai pas pourri votre soirée, alors un peu d'indulgence, jeunes padawans !



Il m’a fallu beaucoup de temps et des centaines d’observations d’aquariums tous différents pour mûrir ma réflexion.

Je suis ingénieur agro et les milieux naturels terrestres me passionnent autant que les milieux aquatiques. Les modèles de la forêt ou de la prairie sont très riches d’enseignements si on les observe sur la durée avec un peu de curiosité et pas trop de préjugés.

Aujourd’hui, la biodiversité est présentée comme le Graal, tant elle est en danger au niveau de la Planète. Sa perte de richesse est dramatique, et le serait encore davantage à nos yeux si nous avions la curiosité de compter la disparitions des espèces invisibles, comme les invertébrés et les micro-organismes. La quasi-totalité des espèces étant parmi celles-ci, on peut imaginer que la perte d’espèces y est encore plus massive. C’est ainsi le socle des écosystèmes qui est atteint de façon souterraine et invisible.


J’ai donc, logiquement, pendant des décennies d’aquariophilie, tenté de maximiser la biodiversité, c’est-à-dire le nombre d’espèces, dans mes aquariums, bassins, poubellariums, bidons, etc.

Avec un résultat un peu surprenant.


Ceux qui ont mon âge se souviennent de l’aquarium des années 70 ou 80, avec ses poissons multicolores tournant en rond autour de pierres et de plantes souvent moribondes savamment disposées. Nous voulions tous avoir toutes les espèces de ces magnifiques poissons, et en venions souvent à en avoir « un de chaque ». Il était si difficile de choisir, chez le marchand, parmi toutes ces merveilles colorées. Les néons et cardinalis étaient partout, seuls ou par paires, avec leurs couleurs électriques.
On aurait même parfois dit plus des sapins de Noël que des aquariums !


On se souciait peu des biotopes, le marchand nous vendait machines et produits, toujours plus innovants, pour maintenir l’ensemble en vie.

Et pourtant, nous le savons aujourd’hui, cet apparent havre de « biodiversité » était en réalité un désert !

Nos aquariums étaient trop propres, la densité de poissons ne permettait à aucun invertébré de survivre, les équilibres bactériens étaient instables par manque de diversité.

L’alimentation des poissons, industrielle et stérile, n’apportait aucun microbiote nouveau à un milieu déjà dramatiquement pauvre.

Ces pauvres écosystèmes étaient instables, pour le plus grand bonheur du marchand qui nous voyait revenir chaque semaine avec un nouveau problème, occasion de nous vendre une nouvelle solution. Laquelle nous amènerait à revenir, et ainsi de suite.

J’ai connu une amie de Mauricette qui se plaignait de l’entretien qu’exigeait l’aquarium de son fils : tous les mois, elle le vidait entièrement et le lavait, le désinfectait à l’eau de Javel, avant de le remplir à nouveau. L'aquarium, hein, pas le fils... Les poissons mourraient en masse, en l’absence de microbiote stable et « ami ».


Vous m’avez souvent entendu expliquer qu’il fallait maximiser la biodiversité dès la mise en eau d’un aquarium. D’où les doses de démarrage disponibles sur Aquazolla qui permettent d’ensemencer avec le maximum d’espèces microbiennes, algales, mais aussi d’invertébrés destinés à larguer leur propre microbiote composé de millions d’espèces de micro-organismes.


Pourtant, vous l'avez sans doute remarqué, même en l’absence de poissons, certaines de ces espèces de bestioles semblent disparaître tandis que certaines autres deviennent dominantes. Plus de daphnies, mais plein d’ostracodes, par exemple. Bref, la variété visible (et donc sans doute celle invisible) semble très temporaire.

Est-ce grave ?


Prenons un exemple que je connais bien : les prairies naturelles permanentes. Il en existe certaines en France qui sont en place depuis plus d’un siècle, jamais labourées, juste pâturées par les animaux et entretenues grossièrement pour rester des prairies.

Eh bien, dans ces milieux, on trouve généralement au maximum quelques dizaines de plantes différentes. Quelques graminées, trois ou quatre fabacées, une poignée de mousses, et une à deux dizaine de dicotylédones variées. Au maximum.

Et tous les milieux naturels stables ressemblent à ce modèle, terrestre comme aquatiques.



À part les forêts vierges tropicales qui sont un cas différent en raison de leur étendue, un écosystème est généralement dominé par quelques espèces, peuplé par une poignée d’autres. En cherchant bien, on peut trouver quelques individus isolés d’espèces différentes, mais très rares et disqualifiées.

Pourtant, si on analyse une poignée de terre, on s’aperçoit, grâce aux recherches récentes, qu’elle contient une « banque de graines » absolument hallucinante. Des centaines d’espèces, parfois en sommeil depuis plusieurs décennies, sont présentes.

Et c’est là que je voulais en venir et que je voudrais vous expliquer.

C’est en ayant compris cela que j’ai obtenu des aquariums stables, même petits, sans aucun appareillage, même surpeuplés, et sans mortalité particulière. Rien à voir avec ce que j’ai connu plus jeune, où la perte d’un poisson même pas vieux était chose courante.


Je considère donc qu’un écosystème recèle à la fois une "biodiversité dominante", et une "biodiversité latente".

La première est toujours, dans un système stable, assez faible. Et c’est absolument normal.

En revanche, la seconde est, et doit être, maximale. C’est elle qui assure la résilience du système.


Concrètement, lorsqu’un système est instable parce qu’il a été bouleversé ou stérilisé (aquarium juste installé, ou rénové par exemple), il a besoin d’une « proposition de biodiversité » maximale.
Ces milliers d’espèces de toutes tailles vont se mesurer les unes aux autres, et les plus adaptées, les plus pertinentes vont se développer et dominer, en formant un équilibre entre elles.
Cet équilibre durera ce qu’il durera.

Et, à chaque fois qu’il variera, ce sont les autres espèces, latentes car dominées et devenues invisibles, qui vont le sauver en occupant les vides créés.
Ce n’est pas possible avec les animaux supérieurs comme les poissons qui disparaissent totalement (sauf les killis dont les œufs peuvent rester dormants, en diapause), mais c’est vrai avec les invertébrés et micro-organismes qui peuvent attendre leur heure pendant des années, servant de « stock de secours » disponible pour l’écosystème.



Après mon déménagement récent, j’ai dû réinstaller tous mes aquariums.

J’ai pris soin de prélever, en les vidant, des poignées de sable et de substrat que j’ai conservées dans des bouteille d’eau. Ce sont mes « Arches de Noé » riches en vie, avec lesquelles tout sera repeuplé.

Puis j’ai réinstallé mes aquariums, avec une poignée de ces « bouillons de culture » dans chacun.

Après la mise en eau, j’ai introduit une « dose de démarrage » pour augmenter encore le catalogue d’espèces disponible pour l’écosystème.

Aussitôt, ce joyeux bordel a commencé à se simplifier : des espèces se sont raréfiées et d’autres ont tenu le haut du pavé.

Mon bac du salon a été plein de daphnies (une très petite espèce grise) pendant les premières semaines. Aujourd’hui, après 7 mois, je n’en vois plus aucune. Elles sont probablement là sous forme de cystes, prêtes à réapparaître, mais je n’en vois plus aucune. En revanche, le milieu a été colonisé par une espèce très fine d’ostracodes. La surface est envahie de collemboles d’une espèce orangée, que je ne connaissais pas, mais que j’ai certainement introduite sans le savoir, sous une forme invisible au début. Les Blackworms sont très abondants et les aselles sont en quantité assez stable. J’ignore pourquoi.

Les mélanoïdes ont totalement disparu au profit des physes (qui restent minuscules) et surtout des planorbes bleues, qui semblent dominer pour l’instant.



Le même phénomène se produit avec les plantes : vous introduisez un fragment de lentille trilobée de quelques millimètres, une seule lentille d’eau, et un morceau de chaque espèce de plante que vous avez sous la main. Il suffit ensuite d’observer avec l’humilité de celui qui ne peut pas savoir lesquelles vont dominer, les autres ne pouvant alors qu’attendre leur heure.


Les poissons ne permettant pas de garder durablement vivants des invertébrés (à part les aselles et les escargots), il faut miser sur le microbiote. On introduit les bestioles avant les poissons, pour laisser leurs crottes contaminer le milieu. Les poissons mangeront ensuite vos bestioles, mais la banque de microbes sera là, pour toujours.

Ce qui vous assurera un milieu stable, y compris dans ses évolutions, qui ne seront pas des drames et s’effectueront calmement.


Un aquarium ainsi conçu est un spectacle qui évolue au fil des mois et des années, et qui peut fonctionner pendant de très nombreuses années sans la moindre technologie et sans entretien particulier. Les seuls intrants sont l’alimentation des poissons (si possible vivante) et terminent sous forme de tissus végétaux, après avoir été digérés par les poissons et minéralisés par les bactéries dont bien des espèces ne nous sont pas connues.
Le seul entretien est alors de retirer de temps en temps un peu de masse végétale pour laisser la lumière pénétrer et le cycle continuer son œuvre !



J’enrichis depuis quelques mois les doses de démarrage d’Aquazolla avec un peu de périphyton prélevé sur mes plus vieux poubellariums. Cette « croûte » vivante formée sur les parois, sorte de corail d’eau douce, renferme des milliers d’espèces en dormance et enrichit encore la banque de micro-organismes que l’on propose au nouvel écosystème.
D’après mes essais, on offre ainsi des années d’histoire aquatique accumulées par l’ancien système. D’où l’apparition d’espèces au départ invisibles, au bout de parfois quelques mois.


Pour conclure, la biodiversité, c’est le bordel parce que c’est multiple et presque infini, mais aussi parce qu’on ne peut prévoir de quelle façon elle va se restreindre en apparence, ni combien de temps cet ordre durera.

Je regarde mes aquariums comme des petits cosmos, en me disant que je ne connais rien, que je ne sais rien, que je ne maîtrise rien.

Mais que c’est toujours beau.

Beau, peut-être, comme l’humilité à laquelle cela nous oblige.

Commentaires

Anonyme a dit…
Quel plaisir de te lire à nouveau. Le PiNC reste vide sans toi.
Unknown a dit…
Très convaincant. Je fais les mêmes observations sur mes poubellariums et aquariums low tech mais je comprends mieux pourquoi. Merci
Unknown a dit…
Super intéressant !!!!!! J'ai des bébés epiplatys dans un bac low-tech et tout se passe bien. Ils grandissent meme plus vite que ceux nés à l'époque où le bac était filtré !!!! J'y rajouterai bientôt qq bestioles (aselles et autres):).
Un grand merci
Lilybelle77 a dit…
Très intéressant ! C'est exactement ce qui se passe avec mon nouveau bac de 30 l, ensemencé avec une dose de démarrage Aquazolla : je ne vois plus de daphnies et très peu d'ostracodes, mais les aselles et les vers prospèrent. Maintenant je comprends mieux pourquoi. Merci Mattier :-)
Unknown a dit…
Merci pour vos conseils précieux !

J'ai mis eau ce jour un joli nano aquarium de 30L, sans filtre sans chauffage et juste avec lumière suite à mes différentes lectures instructives.

Voici plusieurs mois que "j'élève" des daphnies dans un bac low tech comme celui que je viens de mettre en place aujourd'hui.

J'ai un bassin dehors que j'ai ensemencé avec votre précieuse dose de démarrage. Les poissons rouges vous remercient !

Encore et encore, on a besoin de vos conseils ! (mon 120L est encore filtré... je n'ose pas arrêter ça car j'ai 12 galaxys dedans ainsi que des red cherry)
Unknown a dit…
J’ai découvert ce site en août 2019. Mise en eau de mon aquarium 50 litres d’eau réel (Volvic), début septembre avec la dose de démarrage vendue sur le site d’Aquazolla. En plus de quelques plantes à pousse rapide, voir très rapide comme la Ceratophyle et les lentilles.
Ca a vite été blindé de bestioles en tout genre, les black worm dansaient, les daphnies et ostracodes nageaient. J’y ai mis un filtre exhausteur brancher sur une pompe à air mais sans les mousses de filtration, pour créer un mouvement d’eau.
En novembre 2019, deux mois après la mise en eau, j’ai ajouté quelques Brigitte, 11 si je me souviens bien.
6 mois plus tard j’ai ajouté 16 Corydoras nain. J’ai pas mal de Physes et autre escargots.

Jamais un seul changement d’eau en plus de 2 ans, je compense uniquement l’évaporation à la Mont Roucous (pH5.8)

Je leur donnent en été des nauplies de daphnies que j’élève et des doses de black worm 🪱, 2-3 doses en 5 mois. Le reste du temps de l’industriel de qualité et de temps à autre des nauplies, ça les rend dingues 😅

Et depuis tout ce petit monde se porte bien, les paramètres que je surveille sont tous bien aussi.
Prévoir des poissons qui supportent un pH assez bas dans les pH5

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