Le microbiote mystérieux des aquariums

 On était chez le toubib avec Mauricette.

Comme il la connaît bien, je l’ai interrogé sur l’odeur qu’elle dégage, qui peut surprendre lorsqu’on n’est pas habitué. Comme moi par exemple.

Il me répond immédiatement : « c’est son microbiote ».

Pensant qu’il m’avait mal compris, je lui réponds que je connais bien la virulence du microbiote de ma femme, mais que là, en l’occurrence, elle n’a pas pété et que ça n’a donc rien à voir.


C’est là que l’homme de science qu’est le Docteur Glaviot m’explique que le microbiote humain n’est pas seulement interne.

En effet, selon ce respectable praticien, nous sommes porteurs, partout sur notre peau, nos cheveux et nos poils (que ma femme a drus), d’un microbiote riche et en grande partie spécifique à chacun. Et il ajoute qu’il est responsable de nos odeurs corporelles, jusqu’à en faire une véritable « signature olfactive » individuelle que les chiens, par exemple, savent très bien identifier.


J’ai un petit peu vu ma vie défiler devant mes yeux face à cette révélation de ces années de calvaire sensoriel enfin élucidées. Ceux qui connaissent ma femme me comprendront.


Cette idée m’a donc accompagné avec force pendant des jours, des semaines, des mois.

Et je crois qu’elle m’a permis d’expliquer des phénomènes aquatiques que, jusque là, je trouvais un peu mystérieux.


Voilà des années que je vends sur Aquazolla du riz paddy, destiné à produire des bactéries et des infusoires pour nourrir les alevins juste éclos. La germination de cette plante semi-aquatique produit en effet, dès la sortie de la racine du grain, un véritable bouillonnement de vie microscopique dont les bébés poissons se nourrissent en naissant.

De la même façon, Aquazolla explique à ses clients zet amis que les racines des plantes flottantes sont de véritables garde-manger pour les alevins (Salvinia, lentilles d’eau, Azolla, etc.).

Voici par exemple une photo prise il y a quelques jours d’une Pistia dont le panache racinaire concentre, en plein novembre, des nuages denses de daphnies frigorifiées mais attirées par les bactéries et protozoaires qui y pullulent. Une véritable oasis aquatique.



Mais j’ai réalisé aussi que, contrairement à notre maison dans laquelle évolue Mauricette, les poissons sont dans un milieu liquide. Si les micro-organismes existent en suspension dans l’air, ils y restent peu nombreux. En revanche, dans l’eau, ils sont des millions dans chaque goutte. De même qu’il sont des milliards dans chaque gramme de terre du jardin (cf découvertes agronomiques récentes) !


On peut donc dire qu’on poisson baigne littéralement dans son microbiote. Microbiote qui est donc commun à tous les poissons évoluant dans ce même milieu et également aux plantes qui s’y trouvent. Ce microbiote ambiant étant distinct à 99 % de la flore interne de ces poissons. Bref, en quittant l’eau de nos origines, nos ancêtres lointains ont emporté avec eux les micro-organismes nécessaires à l’intérieur de leur corps et en surface. Sans cette flore interne et externe, nous ne pourrions survivre.


Et cela interroge donc nos connaissances aquariophiles. Et cela vient aussi apporter un éclairage, encore très ténu, sur toutes les énigmes qui font le quotidien des passionnés.

Cela vient confirmer l’intérêt de ces fameuses doses de démarrage Aquazolla, dans lesquelles j’ajoute depuis quelques mois un peu de périphyton ancien et mature (cette croûte vivante complexe qui « culotte » mes plus vieux poubellariums).

On comprend mieux pourquoi un aquarium vieux, avec une eau vieille est généralement stable, pourquoi les aquariums juste installés sont si vulnérables, et même pourquoi les plantes neuves (ou pire, cultivées in vitro) ont tant de mal à survivre lors de leur installation dans un nouvel univers.



Un microbiote aquatique normal est nécessairement constitué de dizaines, voire de centaines de milliers d’espèces de bactéries, champignons, virus et protozoaires différents, dont la diversité permet l’équilibre sans qu’aucune ne puisse proliférer au détriment des autres. Un pathogène n’est redoutable que s’il est dans un milieu pauvre, sans concurrence, lui laissant le champ libre. Un poisson dans un milieu riche et complexe ne tombe pas malade, sauf stress, blessure, vieillesse.


Nous voici face à ce que les vétérinaires appellent le concept de « crasse propre », et qui est au cœur de l’aquariophilie naturelle telle que je la conçois. Dans un élevage, on appelle « crasse propre » la saleté à laquelle les animaux sont habitués. Aucun animal ne tient longtemps dans un milieu stérile, car le premier microbe pathogène arrivé aura le champ libre. Au contraire, nous vivons mieux au milieu de nos propres microbes, qui ne nous feront aucun mal et donc nous protègent.

C’est ainsi que nous attrapons la tourista en voyage si nous buvons l’eau du robinet locale, alors que les locaux la boivent chaque jour sans problème. La tourista, c’est une rencontre ! Le microbe en question n’est ni méchant ni gentil : il est juste nouveau pour nous !


Mes aquariums ne sont pas filtrés, les plantes y vivent indéfiniment, l’eau verdit parfois quelques jours, jamais longtemps, et je la laisse. Ils sont bourrés de bestioles porteuses de millions d’espèces de bactéries et virus très divers, d’escargots, aselles, etc. Même les quelques planaires et hydres qui apparaissent parfois restent discrets et sont contenus. Un simple ostracode, si insignifiant à l’œil, si minuscule, contient dans son intestin une flore innombrable.



Dans la nature, il y a moins d’un poisson par mètre cube d’eau, mais tellement d’autres choses…


Maintenant que j’ai compris cela, je mets toujours avec une plante nouvelle un peu de son eau d’origine, voire un peu de son sable avec ses racines. Elle retrouve ainsi son microbiote comme un arbre qui serait replanté avec ses micorhyzes pour mieux pousser.


Les aquariums trop propres m’inquiètent toujours.

Les miens sont très sales, mais je les trouve beaux… comme un fond de vraie mare !

Je n’y interviens que peu, et ils vivent leur vie un temps presqu’infini.


Par contre, je reconnais que les poissons qui y vivent doivent se dire que ça sent un peu la Mauricette.

Commentaires

Anonyme a dit…
Et est ce qu’il y a un problème à intégrer des poissons « propres » dans un vieil aquarium naturel? Est-ce qu’on ne risquent pas de ne pas s’adapter à ce milieu très «(trop?) riche »?
Administrateur a dit…
Enfin une question trèèèès intelligente ! Héhé !
Effectivement, c'est probablement cette importance du microbiote qui fait que les guppies du commerce, pour ne citer qu'eux, meurent si vite après leur achat.
Ils sont élevés à coups d'antibiotiques et ne font donc pas face à un milieu septique, c'est-à-dire normal. Tandis que, s'ils réussissent à pondre avant de s'éteindre, leurs alevins seront parfaitement robustes, ayant intégré ce bouillon de culture vital dès leur première gorgée d'eau en naissant.
On me dit que ce problème, à propos des guppies, est moins net qu'autrefois. Les élevages utilisent peut-être moins d'antibiotiques...
Anonyme a dit…
Bonjour,
Il y a un vieux projet qui me trotte dans la tête depuis quelque temps :
Prendre quelques guppys de différentes souches, laisser tout ça se croiser librement et mettre la descendance en poubellarium (et les rentrer pour l'hiver dans mes aquariums plantés non filtrés pleins de microfaune).
Mais je me complique peut-être un peu trop la vie...

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