Conventionnel, bio ou permaculture aquatique ?

Je lis de nombreux sites et articles sur l'aquariophilie naturelle. J'y découvre beaucoup de choses qui m'étonnent.
Lors d'une visite récente dans une boutique spécialisée, j'ai pu voir combien l'aquarium naturel est à la mode. Incroyable ce que le marketing a pu inventer d'encore plus cher et compliqué qu'avant !
J'ai vu des gammes de produits miracles magnifiquement dégradés en couleurs, sortis de je ne sais quelles usines, des aquariums adaptés, trois fois plus chers que les autres, etc.
Comment le fait d'abandonner la technologie pour laisser faire la nature peut donc coûter si cher et faire fonctionner autant les usines ?
Par quelle perversité intellectuelle le retour au naturel peut-il profiter à ce point à l'industrie ?
Notre combat est-il donc un échec ?
Dois-je en tirer toutes les conclusions en me suicidant, par exemple en embrassant Mauricette au réveil avec la langue ?
Tout est-il donc perdu ?
Le joli projet d'Aquazolla.com, dans mon petit Parc Naturel, est-il donc voué à l'échec face à l'industrie triomphante et fumante ?

Et là, je m'aperçois qu'il y a finalement un très profond malentendu. Le même malentendu qu'on constate avec l'agriculture bio, dont on est parfois surpris de voir qu'elle n'a souvent rien d'aussi « naturel » que nous l'imaginions, surtout lorsqu'elle produit en masse.

Revenons donc aux fondamentaux.

L'agriculture conventionnelle, comme l'aquariophilie traditionnelle, s'appuient sur l'ingénieur pour maîtriser tous les facteurs et paramètres. Elles simplifient le système.à l'extrême pour ne plus dépendre de l'imprévisible nature. On instaure donc la monoculture, en ne cultivant qu'une seule espèce (que du blé, ou que des poissons), on mesure quelques paramètres physico-chimiques (azote, potasse, pH, KH, etc.) et on met le système en équations. Lorsqu'un problème se présente, on trouve un antidote chimique pour l'éliminer (pesticide, conditionneur d'eau, anti-algues...).
C'est le royaume de l'ingénieur, de l'industrie, du marketing et du commerce.
Ainsi, l'aquariophile traditionnel mesure les paramètres de son eau, suit les conseils du vendeur, et utilise des produits pour corriger les problèmes créés par le produit précédent. Chaque algue doit être éliminée, chaque escargot, chaque bestiole : l'aquarium doit être un champ de poissons à perte de vue, sans rien d'autre. Ces systèmes sont fragiles, car si pauvres en espèces variées qu'un ravageur ou une maladie a le champ libre pour proliférer.


L'agriculture bio vient modifier ces pratiques en considérant les produits chimiques de synthèse comme des poisons, et en les bannissant. Elle remplace donc chaque produit par une solution biologique : produit naturel, insecte prédateur, parasite spécifique d'un ravageur, etc.
Il s'agit toujours d'avoir des champs en monoculture (que du blé), de maîtriser tous les paramètres, mais chaque produit chimique est remplacé par un équivalent naturel. Il faut un peu plus de travail, mais on obtient des produits non couverts de résidus chimiques et on n'a pas empoisonné l'environnement. On change donc les moyens utilisés, mais pas la logique qui reste une lutte contre les phénomènes naturels contrariants.

Venons-en à la permaculture, qui s'applique autant à l'agriculture qu'à l'urbanisme, l'architecture, etc.
En ce qui concerne les pratiques agricoles (et que j'applique personnellement à l'aquariophilie), il s'agit de s'inspirer au plus près de la nature elle-même.
L'idée principale est qu'un système où la biodiversité est maximale est nécessairement résilient. Aucune espèce ne peut proliférer à l'excès dans un système hyper-complexe. Quand, par exemple, les limaces pullulent, on ne met pas de granulés anti-limaces, comme en agriculture conventionnelle. Mais on ne met pas non plus de bactéries tueuses de limaces, comme en bio. On va plutôt augmenter encore plus la biodiversité, car l'excès de limaces prouve qu'il manque des espèces. Pas de monoculture : les espèces cultivées sont mélangées. Davantage d'espèces dans ou sur la terre : on couvre le sol avec de la paille pour abriter plus de bestioles. On fractionne au maximum le terrain pour créer des interfaces : potager, buttes, mini-mares...

Par ces méthodes, on a des parasites en permanence, mais jamais en excès. Les premiers pucerons de l'année ne créent pas la panique, mais sont les bienvenus : ils vont servir de base à tout l'écosystème en nourrissant tout le monde. Un peu comme nos ostracodes... Et ils maintiendront les végétaux en bonne santé en mobilisant leurs défenses.
On ne combat plus les phénomènes naturels, mais on les encourage, on les multiplie, pour qu'aucun ne domine les autres.


On a découvert grâce à une étude de l'INRA sur une ferme permacole que ce système demande davantage d'observation, davantage de main d’œuvre, mais produit un rendement très supérieur pour la même surface. Car on crée un écosystème infiniment plus dense en vie.

Mes aquariums contiennent tous des centaines de milliers d'individus de toutes espèces. Si je vois un planaire, des hydres, je laisse faire et je surveille. Quand je vois apparaître un ostracode, une daphnie, un ver inconnu, je me frotte les mains.
Je ne plante pas de jardin à la française, mais j'introduis en vrac des fragments de toutes les plantes possibles, pour que la nature choisisse. Je suis l'observateur, pas le démiurge.
Quand je trouve un peu de cracrapouët au fond d'un de mes poubellariums, j'en mets une pincée dans mes aquariums. Et hop ! Des centaines de micro-organismes en plus dans ma collection, gratos !

Cela donne des bacs à l'aspect authentiquement sauvages puisque chaque espèce se développe, y compris les plantes, selon ses habitudes naturelles.
Ces bacs sont également très stables. Stables, mais changeants, chaque équilibre étant forcément temporaire et cédant la place à un autre dès le lendemain. Mais toujours un équilibre. Jamais un dérèglement du système entier par une seule espèce. Chaque espèce tient les autres en respect, toutes les niches écologiques sont occupées.


La limite du système est que, pour respecter les équilibres naturels, il faudrait n'introduire que très peu de poissons : un simple danio pour 500 à 1000 litres, comme dans la nature ! Car les poissons sont des prédateurs, au sommet de la pyramide alimentaire. Trop nombreux, ils stérilisent totalement le milieu.
Il faut donc faire quelques compromis en élevant, à côté, ses souches de bestioles les plus vite dévorées.

Mais, si l'on va au bout de la logique, on imagine des aquariums grouillants de vie, à l'aspect changeant au fil des mois, avec très peu de poissons voire aucun, et ne nécessitant absolument aucun entretien. Juste de l'observation.

En ce qui me concerne, ces aquariums totalement naturels et sauvages m'ont amené à pratiquer la méditation.
J'ignore ce qui m'a le plus sauvé la vie dans les 10 dernières années si tragiques pour moi, mais avoir un support de méditation m'a assurément beaucoup aidé.

Un aquarium est un moyen rare de voir chez soi la nature totalement à l’œuvre.


L'autre possibilité est, évidemment, d'avoir une Maur... une femme très poilue et à l'hygiène sauvage, mais ce n'est pas donné à tout le monde, hein...

Commentaires

Unknown a dit…
Très bel article.

Par contre, la difficulté de l'aquarium est justement d'aboutir à un équilibre. Le nombre d'espèces dans un milieu aquatique sauvage se compte forcément en millions/milliards (bactéries, crustacés etc.), espèces dont la présence est, en plus, variable selon les saisons. Maintenant, dans un bac de 50 ou 300 litres, comment espérer disposer de tous les prédateurs et prédatés nécessaires à l'équilibre?

Et c'est là tout l'intérêt et la passion de ces aquariums "naturels". Trouver l'équilibre avec ce dont on dispose, pour ne plus avoir à intervenir. Pari difficile.

Quant au caractère purement lucratif du bio., Mattier, ne me fais pas croire que tu découvres cela ;) Tout est bon pour enfiler le consommateur, rien de nouveau.

60 millions de consommateurs révélaient même avoir trouvé plus de pesticides et d'insecticides dans des produits "bio" de grandes surfaces, que dans des produits non-bio.

Soit on possède son propre potager, soit on connait personnellement son producteur, soit on n'est sûr de rien.

Je pense que nous n'en sommes qu'aux balbutiements de l'aqua naturel. Mais quel plaisir d'y mettre les mains.
Anonyme a dit…
Bonne année cher ami. C'est toujours un plaisir de vous lire!
Nicolas a dit…
J'ai lu tout votre blog en 2 jours. Je me rends compte que je suis au dernier article et que j'ai soif de vous lire toujours plus tant j'ai appris et tant j'ai encore à apprendre !

J'ai démarré un premier nano bac naturel en ce début d'année (j'ai été pendant 15 ans aquariophile traditionnel, puis 10 ans sans plus aucun bac). J'ai également en travaux l'installation d'un poubellarium. Celui-ci n'aura pas une bonne exposition, (enclavé entre un mur de cabane, une palissade et une haie) il sert de récupérateur d'eau du toit de la cabane.

Il ne recevra pas de soleil ou alors que très très peu, mais bon il est là car j'ai besoin de récupérer l'eau de cette cabane, autant qu'il serve à la nature :)

Du coup il sera partiellement enterré pour conserver une eau tempérée en hiver (même si les hivers ne sont pas très froids sur la côte Bretonne) (En fait il conservera plutôt la chaleur en été, ha ha ha).

Bref, je verrais bien ce que cela donne, j'espère que la nature prendra plaisir à s'y installer !

A vous lire
Nicolas
Unknown a dit…
Bonjour,
merci beaucoup pour vos articles instructifs et vos réflexions. je débute en aquariophilie et le concept d'aquarium naturel m'a tout de suite parlé. J'ai regardé quelques vidéos sur le sujet sur YouTube, et c'est parti ! Aquarium acheté au troc, terreau au fond, plantes trouvées sur LBcoin, et branchement. Ca, c'était il y a plus de 15 jours... Notre problème est que l'eau, même si elle n'est plus du tout trouble, garde quand même une teinte très marron... Cela va-t-il s'arranger où est-ce dû à un autre facteur (nous avons mis une couche de près de 5 cm de terreau, on avait peur que les plantes ne prennent pas)? Bien sur nous n'avons pas encore mis de poissons;

Merci du temps que vous aurez pris pour me lire, et de vos éventuelles suggestions.
cordialement
Anonyme a dit…
2 préjugés dont il faut sortir!
Les milieux secs et aquatiques ont bien plus de points communs que de différences.
Les besoins des plantes terrestres ou aquatiques sont quasi les mêmes.

Du coup, il s'agit bien de faire un choix de maintenance comme en agriculture puisqu'il s'agit de plante, et a fortiori de permettre plus de biodiversité dans le bac (prédation ou non).
.. et ce n'est pas une question de taille du bac Nort.. puisque l'équilibre en biodiversité dépendra avant tout de la méthode et des outils de maintenance.

Pendant plusieurs décennies, pensant que c'était la seule et bonne manière de faire, on a calqué les techniques des cultures intensives via l'industrie agricole.
Or la chimie d'après guerre issues des mêmes industries de guerre (gaz mortels, nitrates pour les explosifs), a favorisé l'usage intempestif des entrants et des pesticides (alguicides et engrais liquide en aquario), le labourage (les filtres et leur puissance) et particularité aquario les éclairages dits spéciaux.

Or, aujourd'hui, on sait qu'on peut arriver à d'aussi bons résultats avec d'autres méthodes, tout en respectant et en favorisant la micro-faune faune et la biodiversité du milieu ce qui n'est pas le cas lorsqu'on a utilise "l'arsenal" conventionnel.

Selon moi, les ANP sont l'équivalent d'un potager/jardin en perma..
... et en aquario, accepter les algues fait partie de l'enjeu!!

Je vous invite à regarder les vidéos de Mr et Mme Bourguignon et de celles de Marc-André Selosse, en espérant que ça élargisse les perspectives de certains
https://www.youtube.com/watch?v=KKV5CGxsaTA
https://www.youtube.com/results?search_query=bourguignon+claude+et+lydia

léo
Anonyme a dit…
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