J'ai vu une graine.

 On s’est tous retrouvés à la maison.

J’ai encore tellement de mal à accepter sa mort.

Seule sa sœur est venue de Sicile. Ce sont des gens très modestes, ils n’avaient pas les moyens de tous venir et n’ont même pas pu rapatrier le corps.


On a fait passer « Imagine » à la cérémonie.

Je suis le seul à ne pas avoir pris la parole, je ne pouvais pas dire un mot.

Son filleul, lui d’habitude si timide, s’est levé d’un coup et est allé au micro.


Je voudrais vous parler de lui.


Il a dit combien son parrain avait compté. Toujours présent pour lui, depuis sa naissance, « y compris pendant toutes ces années où j’ai dû grandir sans mes parents ».

Le gamin, qui a maintenant 19 ans, a bien souffert. Massacré par les services sociaux, vraiment massacré.

Aujourd’hui, c’est un beau jeune homme, honnête et droit, le pardon et la mesure aux lèvres.

Mûri par les épreuves, pas abîmé.


On a passé deux jours ensemble à la maison, la photo de notre ami sur la cheminée, son ex-femme nous traduisant l’italien de sa sœur. C’était deux jours suspendus.


Son filleul, toujours lui, nous a dit que ce qu’il retenait, c’était que son parrain travaillait 51 heures par semaine. Un contrat le jour, et de l’intérim la nuit. Et donc pas d’heures supplémentaires payées.

Il avait perdu son logement. Si peu de temps pour dormir dans un petit appartement sous-loué à prix d’or. Complexé par ses dents, pourries les unes après les autres.

Il était fatigué. 52 ans.


On a parlé longtemps.

Son filleul (appelons-le « le gamin ») m’a beaucoup parlé de mes bestioles. Il a une formation agricole comme moi, et je lui ai souvent parlé de permaculture.

La permaculture, ce n’est pas du jardinage. C’est une philosophie humaniste : utiliser les déchets pour les limiter, produire en utilisant sobrement les ressources, donner les surplus et les profits… Une forme d'humilité, comme l'aquariophilie naturelle.


Il a toujours été très frappé par l’histoire d’Aquazolla. Ces aselles découvertes au fond de mes poubellariums abandonnés, dans les ruines de ma vie d’avant, détruite par le destin.

Il ne m'a parlé que de ça pendant ces deux jours, ça semblait l’obséder.


Il m’a dit :

- Tu sais, Tonton, je suis en train de monter ma boîte. À cause de toi. Je t’ai vu travailler comme un chien, jour et nuit. Le soir à minuit, tu as encore les mains dans l’eau glacée avec ta lampe frontale, à attraper tes bestioles une par une. Tu ne te reposes jamais. Mais moi je sais que tu es libre. Je veux faire comme toi, je serai libre et je sais très bien ce que ça coûte. J’y suis prêt.


Moi, j’aurais bien aimé qu’il continue ses études. Mais rien à faire, il ne veut plus être un enfant, sa vie lui en a passé le goût.


- Mon parrain, il était souvent méprisé par les gens. Il était exploité parce qu’il n’était pas instruit. Son travail l’a usé. Il n’était pas libre. J’ai décidé que ma boîte, quand elle sera en mesure d’embaucher des gens, sera une entreprise permacole. J’embaucherai spécialement ceux dont personne ne veut, ceux qui sont discriminés. Je suis moitié kabyle et moitié européen, et je sais ce que c’est. Je veux faire une boîte juste, où l’argent est un moyen et les gens le but. Pas le contraire.

- ...

- J’ai que 19 ans et j’ai du temps pour y arriver. Je voudrais que tu m’aides parce que je sais que ça va te plaire.


Il a ajouté :

- Je sais pas si le paradis existe, j'arrête pas d'y penser depuis qu'il est parti. Mais j’aimerais bien qu’on essaie, ensemble, juste de prouver qu’il « pourrait » exister. Juste pour lui et pour l’avoir tenté.


On a parlé comme ça pendant les deux jours et tard le soir.

Je l'aime profondément.


Quand il était petit, il croyait que son Papy était un magicien parce qu’il transformait des petites graines en pieds de tomates ! Son truc à lui, c’est les graines et leur magie, depuis toujours.




Je suis trop vieux pour avoir vraiment des projets. Trop vieux et un peu trop malade pour emprunter à la banque, aussi !


Alors il a décidé, à 19 ans, avec ses économies comme seul apport, de chercher une pauvre petite ferme dans une région bon marché. On y installera mes bassines et ses graines. Je l’aiderai à rembourser la banque et on travaillera tous les deux à ce qui sera une « tentative de paradis ».

À partir de rien, comme une aselle qui sort de la vase inerte.


Permaculture aquatique, terrestre, humaine, économique, sociale, philosophique.

Ni lui ni moi n’avons de biens ni de goût pour l’argent. Je n’ai plus rien, et lui n’a rien encore !

Ce sera notre force.


Une page blanche.


On verra bien où ça nous mène, ça me plaît bien.


On verra bien si les larmes, ça fait pousser des choses.


Je vous tiendrai au courant. On sera peut-être obligés de fermer la boutique un mois ou deux cette année le temps de tout réinstaller au paradis, si on le trouve.


Aquazolla, ça restera évidemment tout petit. C’est quand même réservé à une petite communauté de frapadingues comme vous et moi.

Mais je vais l’aider, parce qu’il fera de belles choses. C’est obligé.


Sa boutique est époustouflante. Ça s’appelle TOOPOOSS et ça se développe déjà, ce gamin a du génie et du cœur. 19 ans !

Et du courage, beaucoup.


Je pense souvent que la jeunesse qui vient après nous est meilleure que nous.

Il faut les aimer et tout leur donner.










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Commentaires

Cassandre a dit…
Ehhhhhh voilà je pleure!

Ce blog vient d’être élu allié pour pallier à l’ennui de mes insomnies... doux starter de mon hypersensibilité.
Bravo à vous, bravo jeunesse, pensée à celui qui semble s’être battu toute sa vie, il a visiblement semer de belles graines dans les esprits!
Drian a dit…
Bonjour Meur Mattier
Je vous découvre
Et je vous aime
Merci

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