Poubellariums, poissons et bien-être animal

La saison des poubellariums 2023 commence tard.

Il y a eu cette semaine froide, et j’ai préféré attendre des températures plus normales pour un mois de mai.

Je vais donc sortir mes poissons au jardin ce week-end seulement.

Et chaque, année, je m’aperçois que les voir dans leur aquarium me fait mal au cœur.
Tellement pressé de les sortir.



Quand j’ai créé sans le savoir le premier poubellarium avec la guppette Pépette, en 2003, c’était ça qui m’animait. Et je retrouve maintenant ce sentiment, avec plus de facilité pour l’analyser.

C’est finalement une démarche de bien-être animal, même si on n’employait pas encore vraiment ce mot en 2003. Et cette démarche a rencontré beaucoup d’oppositions dans le milieu aquariophile, qui était à l’époque très techno-mascu. C’était à celui qui « maîtrisait » le mieux ses « paramètres », avait le « plus gros » filtre, l’éclairage le plus technologique...

Les jeunes se faisaient agresser sur les forums (pas de Facebook à l’époque) dès qu’ils ne respectaient pas la doxa de ceux « qui savaient », et leur demandaient d’un ton autoritaire leurs « paramètres » dès qu’ils avaient quelques algues (le mal absolu !).

Et moi, j’étais devant mon aquarium à regarder ma guppette et à me demander ce qu’elle ressentait. Personne ne se posait ces questions, le poisson était une simple fiche de maintenance, une série de chiffres et de paramètres quasi-cliniques, alors que je le voyais comme un être fragile (si fragile) en captivité.


J’ai comme tout le monde autrefois (et encore aujourd’hui) rêvé de très grands aquariums. Mais, alors que ceux qui en ont les peuplent de gros cichlidés, j’imaginais y mettre des centaines de poissons minuscules. En y réfléchissant, mon idée était qu’ainsi, je supprimerais en eux la sensation de la captivité. Je leur offrirais un espace presque suffisant pour avoir une vie riche et intéressante.
En exagérant un peu, je leur donnerais l’impression de retrouver la vie sauvage.

J’y aurais bien sûr été gagnant, puisque le spectacle de la vie sauvage est bien plus jouissif que celui de poissons faisant 500 aller-retour par jour le long d’une vitre d’aquarium… Il est tellement plus fascinant d'observer un orang-outang se comporter dans son milieu naturel que de le regarder balancer sa tête tristement dans une cage.

Mon plaisir aurait alors été lié au leur, au fait de les savoir plus heureux. Les avantages de la vie sauvage pour lesquels chaque fibre de leur être est faite, mais avec en prime la sécurité et la protection de la captivité.

Un compromis entre ma passion de la nature et ma culpabilité.



J’avais alors sorti ma guppette au jardin dans une poubelle de 80 litres au printemps et je l’avais oubliée tout l’été, l’abandonnant à son eau de plus en plus verte et opaque.

Je me suis souvenu d’elle fin octobre si je ne me trompe pas (l’eau était à 11°C). En un coup d’épuisette, je l’ai retrouvée plus que doublée de taille, superbe, incroyablement vive dans l’épuisette. Une véritable transformation ! Elle s’est ensuite mise à pondre 100 bébés chaque mois.
Pas de filtre, pas de chauffage, l’eau verte, à peine nourrie, mais… la liberté !


Je me suis alors mis à travailler sur ça, et j’y suis encore aujourd’hui.

Le « bonheur » ou le bien-être, selon les mots qu’on préfère, serait-il tellement puissant qu’il en ferait oublier tous les paramètres habituels ?

Vu autrement, le stress de la captivité et de la technologie rendrait-il nos poissons tellement vulnérables qu’ils ne tolèrent plus le moindre écart ?


Un poisson d’aquarium est maintenu à une température fixe, et les manuels (et le marchand!) vous prédisent le pire si vous vous en écartez un peu.

Dehors, vos poissons encaissent 5 à 6°C d’écart entre la surface et le fond dès qu’ils fuient la surface pour ne pas voir votre sale trogne ! On peut même dire qu’ils choisissent librement leur température au fil de la journée dans un milieu où elle n’est pas homogène. Et ceci… naturellement !


Les neuro-sciences ont établi (pour l’homme) que le stress est générateur de plaisir jusqu’à un seuil excessif où il devient nocif, toxique, dangereux.

Nos poissons en extérieur apprécient, jouent avec les écarts de température, le vent en surface, la pluie battante ou légère, l’ombre d’un nuage suivie de la clarté du ciel bleu. Les heures passées à chercher une bestiole à manger ne sont pas vaines, puisqu’ils trouvent de temps en temps un moucheron qui tombe, une larve de moustique, un ver de vase…



Je me suis donc passionné pour la nourriture naturelle, ces petites bestioles planctoniques ou ces invertébrés aquatiques que les poissons cherchent naturellement.

Mes poissons, depuis des années, n’ont pas vu un flocon industriel. La nourriture, pour eux, ça gigote comme dans la nature ! Mon betta se fait des films dans sa tête dès qu’il attaque une enchytrée, il en fait des tonnes et se prend pour un super-prédateur alors qu’il est tout petit !


Mes poissons passent l’été dehors parce que je leur dois ça. Je ne les vois presque plus jusqu’à l’automne, mais je sais qu’ils sont heureux en colonie de vacances, et leur aquarium en attendant n’est finalement ni laid ni ennuyeux avec juste des plantes et des bestioles diverses.



Leur longévité est en moyenne très supérieure à celle de la plupart des poissons d’aquarium, leurs couleurs profitent de ces vacances, ainsi que leur croissance.

Les recherches et découvertes actuelles sur le microbiote nous apprendront probablement dans quel monde vivent nos poissons en liberté, dans une eau sauvage et non aseptisée. Et on en découvrira peut-être encore davantage sur le monde chimique, organoleptique, qui entoure nos poissons dans une eau vivante : goûts et odeurs qui les enveloppent en permanence. Sans plastique, ni caoutchouc...

Le constat est flagrant : ils vont mieux. Aussi vrai que la Terre tourne alors qu'on ne voulait pas le croire autrefois !
Mais je n'ai pour l'instant que des pistes pour l'expliquer.


Je dois bien les rentrer l’hiver, c’est évident.
Mais j’en suis presque triste pour eux.

J’ai de moins en moins de poissons et de plus en plus de bestioles.

Une daphnie dans 10 litres n’a probablement pas un sentiment de captivité, elle qui se trouve parfois naturellement dans de simples flaques.

Alors je mets des bestioles dans des aquariums de 120 litres, avec des plantes, et je me régale tout autant.


Dès ce week-end, je sors mes platys. L’eau est à 20-22°C en fin d’après-midi en surface (18 au fond), je pense que l’heure est venue.

J’essaierai de prendre quelques photos ou de filmer un peu l’opération pour les ceusses que ça intéressera. À condition qu'Hugo vienne m'aider : j'en ai marre de perdre des téléphones qui tombent dans l'eau !



Je suis sûr que, d’ici octobre, y’en a même pas un qui enverra une carte postale à son papy !


Mais qu’importe pourvu qu’ils soient heureux comme des poissons dans l’eau… en liberté.

Commentaires

Il est vrai que dans le passé, l'aquariophilie était souvent axée sur les paramètres techniques et la maîtrise des conditions de vie des poissons en captivité. Cependant, la démarche de créer des poubellariums et de permettre aux poissons de profiter d'un espace plus vaste est de plus en plus à la mode ! Et tant mieux :)
Ktof a dit…
Je découvre ce soir ce blog, et je m'y retrouve complètement : l'envie de gros bacs pour y mettre des tout petits poissons, juste pour les voir évoluer comme "en vrai", observer plutôt que mesurer des paramètres, avoir de véritables biotopes, le refus d'utiliser des "produits", que ce soit pour soigner des poissons ou "(dés)équilibrer" un bac... Merci de populariser et défendre cette façon de faire de l'aquariophilie.

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